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Informer juste notre devoir !!!

La plume est à vous : De la République qui se construit…. (S. C. DIONE)

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Les décisions du Conseil constitutionnel sont prises à la majorité de ses membres. Le Conseil compte 7 membres. Dans cette décision 1/C/2024, un membre était absent (mais il faut savoir que le Conseil peut délibérer même en l’absence de 3 de ses membres). 6 ont donc statué.

Deux grandes hypothèses sont possibles (et l’une contenant plusieurs variantes).

En premier lieu, la décision a été prise au moins à une large majorité. C’est-à-dire, soit, à l’unanimité, soit, à 5 contre 1, soit, à 4 contre 2.
En deuxième lieu, la décision a été prise à une majorité serrée de 3 contre 3. Situation intéressante en ce que, en cas de partage égale des voix, le règlement intérieur du Conseil prévoit que le Président du Conseil a voix prépondérante. En l’occurrence ici, Monsieur Badio Camara. Le magistrat que l’on dit très proche du Président et que ce dernier aurait gardé en fonction jusqu’à maintenant pour assurer les forfaitures constitutionnelles du
régime.

Qu’est ce que tout cela signifie par rapport au Président du Conseil ?

Que, peut-être, ce juge a pu se retrouver isolé : seul contre 5 ou dans une minorité de 2 contre 4 juges. Que, peut-être, il a plutôt adhéré à la position dégagée dans cette décision au même titre que ses collègues (unanimité), ou, plus intéressant encore, qu’il serait la voix prépondérante (donc décisive) dans le cas où les juges ont été partagés à 3 contre 3 pour prendre cette décision historique à plus d’un titre. On ne pourra pas dire quel cas s’est effectivement produit en raison du secret du délibéré.

Chaque lecteur ou lectrice pourra se forger une opinion, chaque analyste conjecturer dans le sens qu’il veut. Néanmoins, voici une conclusion qui s’impose à l’analyse, lorsque l’on se place au point de croisement entre la science politique et le droit constitutionnel :

les institutions, par définition, échappent à qui les posent, même si ceux qui les occupent peuvent toujours hésiter, voire refuser, de tirer les conséquences que celles-ci impliquent ou imposent. Notez le bien, je ne cite nommément un juge constitutionnel que pour cette conclusion qui m’intéresse, pas pour le discréditer ou le réhabiliter. Le juge que l’on a toujours dépeint comme “ultra mackyste”, ou bien n’a rien pu faire pour sauver son “bienfaiteur”, ou bien l’a tout simplement “désavoué” juridiquement parlant.

Par extension, les juges constitutionnels qu’un Président africain en exercice a nommés ont défait les actes pris par celui-ci et sa “majorité parlementaire” (de circonstance ?). Et, qui plus est, sur le fondement, entre autres, de textes constitutionnels pris par ces mêmes acteurs politiques encore en place. La possibilité de telles positions juridictionnelles est l’une des explications de l’effort des modernes à ériger la séparation des pouvoirs comme principe d’organisation.

Ce sont les caprices du Nil qui ont incité l’homme à sortir de la barbarie et à s’engager dans la voie de la civilisation (vous me pardonnerez la longue citation) :

“[…] la civilisation égyptienne n’était pas l’indice d’une supériorité raciale quelconque, mais presque le résultat d’un hasard géographique. C’est la spécificité de la vallée du Nil qui a conditionné l’évolution politico-sociale des peuples qui s’y sont engagés à des degrés différents au hasard de leurs migrations. L’ampleur des crues du Nil obligeait tous les habitants de la vallée à faire face collectivement à l’événement annuel, à régler toute leur vie
dans ses moindres détails par rapport à l’inondation. Pour survivre, il était indispensable que chaque clan sortît de bonne heure de son égoïsme. Lorsqu’apparaît la crue [montée des eaux du Nil], aucun clan n’est suffisant pour faire face tout seul à la situation ; il faut le concours de tous, la solidarité de tous les clans pour la survie de l’ensemble.

Ce sont ces conditions de travail qui amenèrent de bonne heure les clans à fusionner et favorisèrent l’apparition d’une autorité centrale responsable de la coordination de toute l’activité sociale, politique et nationale. Jusqu’à l’invention de la géométrie, rien dans l’activité matérielle et intellectuelle des Egyptiens ne fut gratuit. La géométrie, à ses débuts, était une invention permettant de départager les habitants après la crue en retrouvant, par des procédés scientifiques, les limites exactes de chaque propriété.

Nulle part la dépendance ne fut aussi étroite entre le milieu géographique et le style de vie. C’est cette exigence impérieuse qui semble expliquer, pour l’essentiel tout au moins, l’antériorité des Egyptiens et des Nubiens dans la voie de la civilisation. Tous les autres peuples noirs ou blancs qui étaient assujettis à des conditions de vie moins rigides, exigeant une activité collective moins compassée, ont accusé un retard de civilisation par rapport aux Egyptiens […].”

[Cheikh Anta Diop, Antériorité des civilisations nègres. Mythe ou vérité historique, Présence Africaine, 1967, (réédition 1993), p.243 ; voir aussi la première partie de Nations nègres et Culture. Les passages mis en gras résultent de mon fait]. De même, ce sont les caprices des Princes qui ont incité les penseurs (partant ainsi d’une certaine philosophie pessimiste de la nature humaine) à imaginer des principes d’organisation de l’Etat pouvant s’accommoder avec le pire des dirigeants.

En ce sens, le régime actuel joue comme un élément accélérateur de l’histoire du Sénégal (dans le sens de la barbarie ou de la civilisation selon le comportement qu’adoptera la société, nous le verrons). Poussé dans ses derniers retranchements par les autres pouvoirs “coalisés”, l’institution judiciaire qui ne se défend pas est de facto dissoute (c’est-à-dire, dans les faits, elle vivra dans la marginalité institutionnelle). Poussé à bout, au citoyen qui ne résiste pas, il reste le choix entre se soumettre ou (succédané d’alternative) émigrer définitivement, d’une émigration aux allures de demande d’asile politico-économique vers un ailleurs, aujourd’hui, de plus en plus
incertain.

Nul besoin ici de s’étendre sur comment le Conseil motive sa compétence à contrôler une loi constitutionnelle (si impopulaire) ; à contrôler la régularité d’un acte administratif par plénitude de juridiction (à propos d’un décret si impopulaire) ; à “inviter” les autorités (terme qu’il préfère à celui d’“ordonner”, en tant que pouvoir régulateur ou peut-être à cause de ce statut…) à poursuivre “dans les meilleurs délais” un processus électoral (devenu populaire par le dénouement qu’il présage dans l’opinion publique).

Mais il est tout à fait intéressant de noter que la décision 1/C/2024 du 15 février 2024 est rédigée dans une simplicité si déconcertante qu’on serait tenté de penser que le Conseil s’exprime presque comme l’homme de la rue, je veux dire celui-là qui, de jour en jour, a ressenti dans sa chair que quelque chose cloche avec ce régime sur le plan démocratique ainsi que des libertés civiques et politiques (la liberté politique en définitive).

Et c’est ainsi que la République sénégalaise (je n’ai pas dit du Sénégal) se construit brique après brique. Damant quasiment le pion aux foyers socioprofessionnels classiques de la revendication politique et sociale,…

– Des acteurs des Doomi Daaras coalisent dans le but de défendre l’intérêt général ;

– L’Eglise élève la voix pour appeler au respect de la Constitution et du calendrier
électoral

– Des universitaires en service comme des professeurs émérites écrivent pour clarifier
le débat juridico-politique ;

– Des chroniqueurs créent un mouvement de résistance ;

– De trop jeunes détenus politiques sont acclamés à leur libération comme de véritables
héros en herbe de la nation ; etc.

Si tous ces faits, à côté de l’aura de Ousmane Sonko et de l’activisme socialement récompensé de beaucoup d’autres acteurs, ne vous font pas réaliser que quelque chose se passe, vous pouvez toujours espérer que tout restera ou redeviendra comme avant. L’histoire de l’humanité, elle en tout cas, a souvent horreur de la régression lorsque les circonstances ne s’y prêtent plus, à l’image de notre ancêtre, l’Egyptien, qui n’a pas abdiqué devant les
caprices du Nil. Pour qu’advienne le progrès, il faut des défis.

Une chose me semble donc certaine, tout Sénégalais, toute Sénégalaise, qui ne se tient pas prêt(e), au moins en disposition d’esprit (en attendant que son comportement puisse suivre ndax jëmm da nu key yar ci lu mën a wéy), apprendra à ses dépens qu’il ou elle a raté le train de l’histoire nationale et, par suite, aura beaucoup de mal à se réinsérer, se réinventer, dans la vie active et l’aventure de son pays.

 

S. C. DIONE

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