Pour ne pas mourir de faim dans le nord de la bande de Gaza en guerre, Abou Gibril s’est résolu à sacrifier sa dernière richesse: ses deux chevaux de trait, qu’il a abattus et cuisinés, sans oser dire à ses voisins ce qu’il leur donnait à manger.
« On n’a pas eu d’autre choix, il a fallu tuer les chevaux pour nourrir les enfants », dit à l’AFP ce paysan palestinien de 60 ans réfugié dans le grand camp de déplacés Jabaliya.
La guerre lui a tout pris, raconte-t-il. Dès le début des combats en octobre, elle a détruit sa maison et ses champs à Beit Hanoun, dans l’extrême nord de la bande de Gaza.
Abou Gibril et sa famille ont fait quelques kilomètres pour trouver refuge à Jabaliya, créé en 1948.
Avant la guerre, Jabaliya était déjà le plus grand camp de déplacés à Gaza, surpeuplé, avec plus de 100.000 personnes entassées sur 1,4 km2 selon l’ONU, entre pauvreté, chômage, eau croupie et coupures d’électricité.
Abou Gibril y survit avec sa famille dans une tente qu’il a bricolée, à côté d’une école autrefois gérée par l’ONU et où des milliers d’autres déplacés se sont installés.
Et si les combats les ont jusqu’ici épargnés, « c’est la faim qui nous tue » maintenant, dit-il.
Selon l’ONU, 2,2 millions de personnes, soit l’immense majorité de la population, sont menacées de famine dans la bande de Gaza assiégée par Israël. Et ces graves pénuries pourraient entraîner une « explosion » de la mortalité infantile à Gaza, où un enfant de moins de deux ans sur six est sévèrement mal nourri, a prévenu cette semaine l’Unicef.
La situation est particulièrement alarmante dans le nord, en proie « au chaos et à la violence », selon le Programme alimentaire mondial (PAM), qui y a suspendu la semaine dernière la distribution de son aide, en raison des combats ou des foules affamées qui se jettent sur les camions sur les routes pour les piller.
Samedi matin, le ministère de la Santé du Hamas a annoncé qu’un enfant de deux mois, Mahmoud Fatouh, était mort de malnutrition à l’hôpital al-Chifa de la ville de Gaza, à moins de 10 km de Jabaliya. Une vidéo relayée par des médias proches du Hamas, et montrant un bébé agonisant présenté comme Mahmoud Fatouh, circulait sur les réseaux sociaux, sans pouvoir être identifiée.
Abou Gibril a fait cuire la viande des deux chevaux, mise dans du riz (seul, faute de légumes) et distribué à sa famille, ses proches et quelques voisins, soit plusieurs dizaines de personnes.
Mais sans leur dire que c’était du cheval, pour qu’ils puissent se rassasier sans être dégoûtés, personne à Gaza ne mangeant habituellement ces fidèles compagnons des paysans.
A part deux de ses proches, « personne ne sait qu’il mange en fait du cheval », glisse-t-il.
Fourrages, maïs pourri, feuilles
Depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre sur le sol israélien, durant laquelle au moins 1.160 personnes ont péri, plus de 29.000 Palestiniens ont été tués, en grande majorité des civils, dans l’offensive menée en représailles par Israël dans la bande de Gaza, selon le ministère de la Santé du mouvement islamiste palestinien qui a pris le pouvoir dans le petit territoire en 2007.
A Jabaliya, des femmes et enfants faisaient la queue vendredi devant une distribution alimentaire. Trépignant de faim et d’impatience avec leurs gamelles vides, jouant parfois des coudes devant de grandes marmites de soupe fumantes chauffées au feu de bois.
« Le prix du riz s’est envolé », explique un adolescent. Avant de craquer, de désespoir: « Nous, les grands, on peut survivre. Mais ces enfants de quatre ou cinq ans, qu’ont-ils fait pour mériter de s’endormir le soir tenaillés par la faim, et se réveiller dans le même état le lendemain? »
Les habitants du camp en sont réduit à fouiller les alentours à la recherche de tout ce qui peut être ingéré, et qu’ils ne mangeraient pas en temps habituel: de l’orge, des fourrages, du maïs pourri, des feuilles.
S’ajoute parfois la honte et l’humiliation de devoir mendier. « On n’a même plus un shekel à la maison, on a commencé à faire du porte-à-porte, mais personne de nous donne rien », dit une femme.
Quelques dizaines de personnes se sont rassemblées vendredi dans le camp pour crier famine. Amer Abou Qamsan, un de leurs représentants, a appelé la communauté internationale à « sauver » les habitants du nord de Gaza de la famine.
Autour de lui, des enfants tenaient des pancartes barrées de slogans comme « Les bombardements ne nous ont pas tués, mais la faim s’en charge », ou « La faim nous mange de l’intérieur ». Puis la petite foule s’est mise à chanter « Non à la famine, non au génocide, non au blocus ».