TÉLÉDIFFUSION – L’Afrique face aux nouveaux usages: Entre souveraineté numérique, mutation technologique et modèles économiques à réinventer

Lors du second jour du Forum africain de la télédiffusion tenu ce mercredi 26 novembre à Dakar, responsables publics, opérateurs techniques et diffuseurs africains et internationaux ont débattu des bouleversements des usages audiovisuels. Entre la montée en puissance du mobile, les défis de la TNT, la nécessaire modernisation des infrastructures, la cybersécurité et la souveraineté numérique, les panélistes ont appelé à un changement de paradigme : repenser les modèles de diffusion et renforcer les capacités de production locale pour répondre aux attentes des nouveaux publics.

Des usages bouleversés : la télévision doit « danser le mouvement »

 

Le panel s’ouvre sur un constat fort : les comportements de consommation audiovisuelle ont radicalement changé, poussant les acteurs à s’adapter rapidement.

Selon Habibou Dia, Directeur de la Communication, il devient essentiel de comprendre ces nouveaux usages, notamment la consommation sur mobile, qui rebat les cartes de l’audience et met sous pression la pertinence du modèle classique de diffusion hertzienne.

 

Il insiste sur la nécessité de disposer d’outils de mesure fiables, capables de déterminer réellement la valeur des contenus :

> « On ne peut pas tous mener de grands combats. Mais il nous faut des indicateurs précis, une minute d’audience fiable, pour savoir ce qui intéresse nos publics. »

 

TNT : moderniser, oui… mais comment financer ?

L’un des sujets centraux fut le renouvellement des sites de diffusion de la TNT, une opération lourde, coûteuse et devenue urgente.

Les premières phases de modernisation montrent des résultats contrastés. Malgré la réduction volontaire de zones de couverture, le taux de réclamations du public n’a pas atteint le niveau attendu, ce qui interroge sur la place réelle de la TNT à l’heure du mobile.

Habibou Dia souligne un dilemme politique et financier :

faut-il continuer à investir des milliards dans une technologie en perte relative de vitesse ?

comment assurer un service universel sans surcharger les budgets publics ?

Il rappelle que certains sites ont 30 à 40 ans, parfois en zones sensibles, ce qui pose aussi des enjeux sécuritaires.

> « La décision politique était difficile, mais il fallait la prendre : certains sites ont atteint leurs limites. »

 

Vers un New Deal technologique : gouvernance et cybersécurité au cœur de la stratégie

Les intervenants ont salué l’adoption récente d’un décret réorganisant la gouvernance du secteur numérique, intégrant l’ensemble des acteurs :
– régulateur,
– ministère,
– opérateurs de diffusion,
– experts en cybersécurité.

Le rôle du colonel chargé de la cybersécurité y a été mis en lumière :

> « Pour la première fois, une instance de gouvernance centralise la stratégie numérique du pays. »

 

La cybersécurité devient un pilier incontournable, dans un contexte où les contenus, les données et les infrastructures doivent être protégés contre les risques croissants.

 

Financement : vers une redistribution plus équitable du marché audiovisuel

Le panel a également abordé les leviers stratégiques de financement, particulièrement dans un marché dominé par quelques groupes internationaux (Canal+, France Médias Monde, RT…).

Le Sénégal a récemment créé la CDPA – Caisse de Développement de la Production Audiovisuelle, dotée d’une enveloppe initiale de 2 milliards FCFA, ainsi qu’un relèvement du ticket d’entrée pour les diffusions.

Objectif :

renforcer les capacités des producteurs locaux,

rééquilibrer la chaîne de valeur,

permettre une redistribution plus équitable entre télévisions, régulateurs et producteurs.

 

RT Afrique : une alternative médiatique en quête d’audience locale

La représentante de RT a expliqué l’ouverture d’un nouveau bureau au Sénégal, composé exclusivement de journalistes sénégalais. Selon elle, le public recherche une information alternative, ce qui justifie davantage de production locale et africaine.

Elle souligne que RT souhaite :

couvrir l’actualité africaine avec « une vision d’abord africaine »,

présenter la position russe sur les enjeux internationaux,

développer des documentaires et des projets sur les villes africaines en mutation.

 

Mali : souveraineté, archivage numérique et valorisation du contenu local

Le représentant malien a insisté sur la nécessité de :

numériser et sécuriser les archives,

protéger les données audiovisuelles,

valoriser le contenu local via des partenariats avec les producteurs, notamment pour les diasporas.

Il rappelle que la souveraineté audiovisuelle passe par :

des sociétés de diffusion 100 % contrôlées par l’État,

un cadre solide de protection et de monétisation des contenus,

un accompagnement des créateurs locaux pour qu’ils profitent réellement de leurs productions.

Conclusion : un secteur en pleine mutation qui cherche son modèle

Le second jour du Forum a mis en lumière une certitude : la télédiffusion africaine est à la croisée des chemins.
La montée en puissance du mobile, les enjeux de cybersécurité, le financement des infrastructures, la place des acteurs internationaux et la souveraineté du contenu exigent un nouveau modèle d’organisation et d’investissement.

Les participants appellent à :

moderniser les infrastructures,

redéfinir les priorités de financement,

renforcer la production locale,

protéger données et contenus,

et surtout, adapter les politiques publiques aux usages réels des populations.

 

Assane Diop