ENTRETIEN. Couronnée pour « Les Impatientes », la Camerounaise, lauréate du premier prix Orange du livre en Afrique pour ce roman, s’était confiée au « Point Afrique ».
Propos recueillis par notre envoyée spéciale à Yaoundé, Hassina Mechaï
Le Cameroun, pays des lettres s’il en est, a ravi le prix Goncourt des lycéens cette année qui couronne Djaïli Amadou Amal figurant parmi les écrivains retenus dans la sélection finale du prix Goncourt. La sélection des lycéens avait pour finalistes Miguel Bonnefoy, pour Héritage(Rivages), Lola Lafon pour Chavirer (Actes Sud), Hervé Le Tellier pour L’Anomalie(Gallimard) qui a remporté le Goncourt, Maud Simonnot pour L’Enfant céleste (L’Observatoire) et Camille de Tolédo pour Thésée, sa vie nouvelle (Verdier). L’écrivaine camerounaise avait été désignée lauréate de la première édition, en 2019, du prix Orange du livre en Afrique (POLA) pour son roman Munyal, les larmes de la patience (Proximité, 2017), réédité en France par Emmanuelle Collas sous le titre « Les Impatientes ». Selon Véronique Tadjo, personnalité membre du jury, ce qui a retenu l’attention du jury a été « sa capacité à créer un monde très homogène ». « Elle arrive, dit-elle, à nous montrer la force de ces femmes dans le quotidien étouffant. Ce sont des femmes fortes, qui, tout en restant attachées à leur croyance, cherchent à s’affirmer. »
Qu’en est-il dans ce roman ?
« Munyal », la patience en langue peule, c’est aussi la base de la culture peule, de ses valeurs, le pulaaku. Une vertu cardinale, mais aussi l’autre nom de la résignation et de la soumission. « On ne peut aller contre la volonté de Dieu. Tout ce qui nous arrive est de son fait », martèlent pourtant les pères et les mères. « Au bout de la patience, il y a le ciel », ajoute le proverbe peul. Le ciel, peut-être, l’enfer sur terre aussi. Car rien ne résiste au munyal, sinon le malheur qu’il crée. Alors on exhorte à plus de munyal encore Ramla, Hindou et Safira, les trois héroïnes qui tissent de leur voix le roman primé. Trois voix pour trois femmes qui entrelacent un long lamento féminin. Trois femmes en polyphonie de sororité qui dit le malheur du mariage forcé et de la tradition. Munyal devant les colères destructrices du mari drogué, munyal devant le caprice du mari qui souhaite une plus jeune épouse, munyal devant la coépouse, première en titre, qui voit d’un mauvais œil l’arrivée de la si jeune rivale. Munyal jusqu’à la mort.
C’est dans ce décor que ces trois femmes vont évoluer. Au premier plan, il y a donc Ramla, la surdouée. La réfractaire aussi. Ramla qui balance entre sa bonne éducation et ce « désir de révolte refoulé ». Celle qui se sent si « différente ». Par son goût pour les études et par son dégoût des choses matrimoniales imposées. Ramla qui veut être pharmacienne et poursuivre à Tunis ou ailleurs. Sa main est pourtant accordée à Alhadji Issa, l’homme le plus important – entendez le plus riche » – de la ville. Riche, mais déjà marié. Ramla sera la seconde épouse. Puis il y a Hindou, sa demi-sœur, mariée le même jour à son cousin drogué et violent. Aucune des deux ne peut refuser le mariage, car leur désobéissance pourrait valoir aussitôt à leur mère la répudiation, « plutôt trois fois qu’une ». Puis selon la tradition, l’enfer et le paradis pour le père sont suspendus aux actions des filles. Obéir, c’est assurer à son père une vie outre-tombe pleine de sérénité, car ne répète-t-on pas chez les Peuls que « chaque pas d’une fille pubère non mariée est comptabilisé dans le grand livre de comptes et inscrit comme péché pour son père ». Enfin, il y a Safira, la première épouse d’Issa. Le second mariage de l’homme avec qui elle vit depuis 20 ans va la pousser à des extrémités. Gare à la femme humiliée qui trouvera pourtant dans cette humiliation le courage d’une lente émancipation.
La place de la femme dans nos sociétés interpellée
Le roman détaille avec soin l’hypocrisie d’une société qui prône la soumission absolue aux femmes sous prétexte de patience. Mais une patience de sioux, de celle qui ligote l’homme, le mari, aux rets des sortilèges féminins ; et si ceux-là ne suffisent pas, ceux du marabout y pourvoiront. « Soyez pour lui une esclave et il vous sera captif », glisse l’oncle de Ramla et Hindu quand vient le temps de les marier, l’une à un homme riche, l’autre à son cousin Moubarak. Ce sont les hommes, leur père et oncle, qui vont présider aux conseils ultimes pour leurs premiers pas de jeunes épousées. La scène de conseil ressemble à l’immolation de deux jeunes filles sur l’autel des traditions. L’une pleure, l’autre serre les dents et se tait. Elles sont désormais amaria, jeunes épousées.
La polygamie décrite avec minutie par Djaïli Amadou Amal fait du mariage une guerre de tranchées. Un combat dont la seule issue est la reddition totale. Guerre feutrée entre la femme et le mari ; guerre ouverte entre les coépouses, ambiance de gynécée à couteaux rentrés et tirés tout à la fois. Guerre contre la daada-saare, ou « mère de la maison », la première épouse, qui exerce de fait une autorité sur les autres coépouses. Guerres entre les demi-frères et sœurs qui prendront parti, dès les jeux d’enfants, pour leur mère. La guerre partout, mais codifiée. Chaque acte de vie de ces femmes est réglé par le walaande, code implicite qui régit jusqu’au tour pour chaque épouse d’avoir accès au mari souverain. Dans le roman de Djaïli Amadou Amal, les destins plus que les existences se heurtent aux lois traditionnelles et religieuses implacables.
Munyal est un roman qui inscrit ses personnages dans l’inéluctable des rets sociaux, traditionnels et religieux. Mais chez chacune de ces femmes se devine un cheminement fait de refus, résistances, impatience comme ultime révolte à opposer à la résignation. Dans son roman qui n’a pas encore trouvé d’éditeur français, Djaïli Amadou Amal se fait conteuse et tisseuse. Tout en laissant se poser la voix de ses personnages, Djaïli Amadou Amal est une conteuse qui, tout en laissant se poser la voix de ses personnages, fait tout autant entendre la sienne, en murmure subtil. Entretien.
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